Lundi 3 Juin 2013 à 11h00
SIX IDEES POUR NE PLUS VIVRE DANS L'URGENCE
Débordées, surbookées, noyées…
De plus en plus, nous ressentons un sentiment de stress permanent qui nous pousse à agir et nous agiter en permanence. Et si on essayait plutôt de sortir de ce tourbillon ? Les conseils de Laurent Schmitt, professeur de psychiatrie à l’université Le Mirail de Toulouse et de la psychiatre Christine Mirabel-Sarron pour mettre un peu de slow dans son speed !
Faire le tri dans ses priorités
Tout est devenu urgent. Rush, pressé, ASAP (acronyme de as soon as possible : dès que possible). Il n’y a plus de différence entre ce qui est impérieux et ce qui l’est moins.
La psychiatre Christine Mirabel-Sarron* nomme ça « les assauts de l’instantané ». On se laisse engloutir. Pourquoi ? « De façon magique, on pense qu’on va s’en sortir, explique-t-elle. On se croit investi d’un pouvoir sur les choses et le temps. Or chaque tâche compte imprévus et retards. Ensuite, on ne sait pas refuser. On accepte tout (dossier en plus, corvée bonus…), jusqu’à saturation, faute de fixer des limites. Nous misons sur la gratitude des autres, plutôt que sur nos capacités réelles. »
La clé pour lever le pied. Hiérarchiser. Selon Laurent Schmitt**, « il faut classer, à coup de listes ce qui est « urgent et nécessaire », « urgent mais non nécessaire », « nécessaire mais non urgent », et enfin « ni urgent, ni nécessaire » (les voleurs de temps).
On doit aussi apprendre à dire non. "Accepter tout (et parfois) n'importe quoi, donne l'illusion d'être utiles, incontournables, explique t-il. Du coup, on surinvestit les espoirs qu’on pense placés en nous." La solution ? "Considérer que la déception de ne pas faire comme il faut et à temps, risque d'être plus grande que la déception - souvent relative - engendrée par un "Désolé, je ne peux pas". En clair : l'honnêteté d'un refus en amont vaut mieux qu'une ribambelle d'excuses en aval."
*Co-auteure, avec Nayla Chidiac, de « Bien gérer son temps pour vivre mieux » (Odile Jacob).
** Auteur de : Du temps pour soi : conquérir son temps intime (Ed. Odile Jacob).
Passer en mode « Hors connexion »
Interrompue non stop (portable, mail…), on agit de manière fragmentée. Bref, on est multitâches. La faute à cette vie qui nous presse, mais aussi à nous-mêmes. « Certains se noient délibérément, note Laurent Schmitt. Gavés d’immédiat, ils n’ont pas à se projeter dans le futur, et la peur de l’inconnu. »
Pour Christine Mirabel-Sarron, « le « multitask » croit qu’il va bosser deux fois plus vite. C’est l’inverse : il se disperse, ne fait rien à fond. Pire, il s’expose à ce qu’énonce la loi de Carlson (du nom d’une économiste suédoise) : il faut trois minutes de concentration quand on attaque une action. Chaque interruption coûte donc ce laps de temps. » Cher payé.
La clé pour lever le pied. Passer de la polychronie (plusieurs tâches simultanées) à la monochronie. On se mobilise à 100 % sur chaque mission, on s’en acquitte au fur et à mesure, en se coupant de tout ce qui va « dérégler » : pas de portable, pas de casque sur les oreilles… Ainsi, on limite l’effet « Zeigarnik » qui consiste à se souvenir davantage des tâches non abouties, donc à culpabiliser. Et surtout, on a une preuve concrète de notre efficacité.
Dépasser sa peur d’anticiper
Rien à faire, certains n’arrivent pas à prévoir. Adeptes du « court-termisme », ils restent le nez collé au carreau des urgences. Et « ils procrastinent, ne prennent pas la décision qu’ils peuvent remettre à plus tard », note Christine Mirabel-Sarron. Qui précise : « les procrastinateurs ont souvent du mal à identifier ce qu’ils évitent, contrairement aux phobiques. » Sont-ils velléitaires ? Paresseux ? La réponse est plus complexe.
Pour Laurent Schmitt, « ils répondent aux principes de la loi de Parkinson : s’ils ont deux semaines pour un projet, ils étaleront et utiliseront la quinzaine pleine. Ainsi, occupent-ils leur cerveau en tâche de fond, sans rien toucher, puis affolés par la deadline, ils bouclent tout dans l’urgence à J-1. Là aussi, on peut y voir un réflexe de remplissage, visant à diminuer leur peur du vide. » La psychiatre complète : « Ils aiment la sensation de tout boucler au dernier moment. Pour l’adrénaline, et pour se sentir vraiment doués. »
La clé pour lever le pied. « Beaucoup refusent de se projeter vers l’avant, parasité par des croyances, analyse Laurent Schmitt. Ils considèrent que ça ne sert à rien puisque les circonstances auront changé la donne d’ici là. Ils sont passifs, pensant qu’ils n’ont pas de prise sur les choses. Ils doivent retrouver une confiance en leur capacité à peser sur les événements. » La suite est classique : pour réaliser une action, on la découpe par séquences (pour la rendre moins effrayante), on prévoit des plans B, C, et on anticipe la déception en cas d’échec.
Choisir l’égoïsme utile
On se doit d’être performantes au boulot. Mais aussi amantes hors pair, mères courage, bonnes copines… Efficaces sur tous les tableaux. Et quand pense-t-on à soi, rien qu’à soi ? Laurent Schmitt le constate : « Certaines personnes sont toujours dans le « moi après ». Par altruisme, mais aussi par cette pensée qu’elles n’existent qu’en vertu du bien-être des autres.
Un recentrage est nécessaire. On ne peut pas n’avoir que des temps « vidants », il faut aussi des temps « nourrissants ». » Comprendre "de qualité" : à nous le bain aux huiles essentielles, le cours de fly yoga, un bon petit polar……
La clé pour lever le pied. Le décider ne suffit pas. Il faut s’organiser pour que ce soit possible. D’abord, en arrêtant de s’encombrer l’esprit. Einstein avait noté son numéro de téléphone et se refusait à l’apprendre par cœur afin d’économiser sa mémoire pour les choses plus importantes ! La clef donc, pour Christine Mirabel-Sarron, c’est de « déléguer ». À son N-1, son mari, son fils aîné. Il faut considérer qu’il ne s’agit pas d’un abandon de responsabilité, mais une façon d’investir l’autre. Lui témoigner sa confiance. » Le temps gagné est une victoire.
Accepter de ne pas être partout
Rejoindre Julie à un anniversaire, ou regarder le replay de la saison 2 de Homeland ? De plus en plus, on ressemble à une créature de cartoon, compulsive, ne sachant plus où donner de la tête. La faute à quoi ? Aux réseaux sociaux, Facebook, Twitter & co qui ne cessent de nous solliciter… avec notre complicité !
Les invitations se multiplient, les occasions pullulent. Et on vit avec la peur de rater « l’événement ». Ce syndrome, Internet lui a donné un nom : FOMO (Fear of Missing Out). Une pathologie – sous forme de peur paranoïde – qui révèle à la fois une addiction numérique, et un désir d’ubiquité qui, impossible à combler, engendre un stress.
La clé pour lever le pied. Laurent Schmitt rappelle d’abord que « ces réseaux sociaux créent un formidable tourbillon euphorique. Ils donnent l’illusion d’être à la fois populaire (on a des amis) et respectable (on est invité). Le problème survient quand cette multiplicité nous paralyse. Qu’elle crée de la frustration ou du manque. Il faut donc apprendre à choisir, donc renoncer. » Et si, plutôt que de rester spectateur sur le web, on devenait acteur de sa vraie vie ?
S’offrir des cures d’ennui
Faire, accomplir, réaliser… Notre culture occidentale valorise l’action. Christine Mirabel-Sarron prolonge : « Nous vivons dans une société de la rentabilité, où tout est évalué. il n’y a quasi aucune place pour le repos. Même quand on ne travaille pas, on doit avoir le loisir productif ! »
Pourquoi cette fuite en avant ? « Peut-être, pour certains, afin de moins sentir l’inexorable filer entre les doigts, envisage Laurent Schmitt. Quand on ne fait rien, on entend le tic-tac de notre chronomètre mental. Par ailleurs, en même temps qu’il y a une gratification de l’hyper activité, on constate une diabolisation du non-faire, issue de la religion chrétienne. »
La clé pour lever le pied. Au Québec, il existe des « camps de l’ennui » pour les enfants, privés d’activités. Pour les adultes, le boom des retraites monastiques ou des cures de jeûne remettent l’austérité au goût du jour. Pour Christine Mirabel-Sarron, « ça peut être une façon de perdre un peu de cette avidité du temps. Et de se confronter à la peur de l’immobilité. C’est surtout le meilleur moyen de casser les rythmes, de parvenir à se retrouver. » Le non-agir est d’ailleurs l’une des clefs du taoïsme, joliment symbolisé par cette phrase de Lao Tseu : « Le sage, sans agir, œuvre. » On essaye ?
source : www.femmeactuelle.fr
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