Au Pakistan, deux femmes pachtounes bravent les talibans.

Au Pakistan, deux femmes pachtounes bravent les talibans.

Leur courage a été salué dans les milieux éclairés pakistanais, qui oscillent entre admiration et inquiétude.

Début avril, deux femmes issues de la ceinture tribale pachtoune, frontalière avec l'Afghanistan, se sont portées candidates aux élections législatives du 11 mai : Badam Zari, dans la zone de Bajaur, et Nusrat Begum, dans le district de Lower Dir. Dans cette région ultraconservatrice du Pakistan, où sévit par ailleurs la violence des talibans, que des femmes se lèvent à titrepersonnel, sans le parrainage d'un parti politique, est un fait sans précédent. Signe annonciateur de gros changements à venir ou défi sans lendemain ?

Badam Zari a affirmé à la presse qu'elle s'était résolue à se présenter car les élus de Bajaur ne s'étaient jamais souciés du sort des femmes. Nusrat Begum, elle, a déclaré vouloir défendre les droits des femmes, des enfants et des minorités. Cette dernière n'est pas novice en politique : elle était jusqu'à présent la vice-présidente pour le district de Lower Dir du parti Pakistan Tehreek-e-insaf (PTI), le parti d'Imran Khan, l'ex-star du cricket (capitaine de l'équipe du Pakistan championne du monde en 1992) devenu tribun populiste. Le parti lui ayant refusé l'investiture, elle a décidé de prendre son sort en main.

SELON LA CULTURE LOCALE, LES FEMMES DOIVENT RESTER À LA MAISON ET NE PAS PENSER AU-DELÀ

La presse pakistanaise n'en est pas encore revenue. Les éditoriaux louent avec emphase la bravoure des deux femmes pachtounes. "Leur courage [...] est le plus clair des indicateurs que les changements dans la culture pakistanaise sont larges et profonds", se félicite le quotidien The News. "C'est un grand bond dans la politique pakistanaise", renchérit le journal Dawn, qui demande aux autorités d'"assurer leur protection" car elles auront fort à faire.

En octobre, Malala Yousafzai, 14 ans, avait pris position pour défendre le droit à l'éducation des filles. Cette adolescente du district de Swat, également de peuplement pachtoune, avait été grièvement blessée après avoir essuyé des coups de feu des talibans.

Au regard de ce précédent - et de bien d'autres encore - les inquiétudes sont vives au sujet de Badam Zari et Nusrat Begum. "Elles vont devoir faire face à énormément de résistance de la part de leur environnement, prévient Samar Minallah, documentariste et anthropologue pachtoune. Selon la culture locale, les femmes doivent rester à la maison et ne pas penser au-delà. Le simple fait qu'elles se dressent ainsi est un événement majeur, c'est un message adressé à toutes les femmes du Pakistan."

Signe de l'emprise du conservatisme, la presse présente Badam Zari en précisant aussitôt qu'elle est "épouse de Sultan Khan" et Nusrat Begum en tant qu'"épouse de Karim Khan". Comme si les deux femmes n'existaient pas en dehors de leur statut marital...

Au Pakistan, la condition de la femme est marquée par une profonde dualité. L'élite sociale et politique a fourni au pays l'une de ses dirigeantes les plus populaires de son histoire, Benazir Bhutto, qui fut première ministre à deux reprises (1988-1990 et 1993-1996), avant d'être assassinée fin 2007. Aujourd'hui, ce sont des femmes qui occupent les postes de ministre des affaires étrangères et d'ambassadrice du Pakistan aux Etats-Unis. Mais les zones rurales appartiennent à un autre monde où les traditions ancestrales imposent au sexe féminin des rapports de sujétion. Et c'est cette implacable coutume que bravent aujourd'hui les deux courageuses Pachtounes.

Source : www.lemonde.fr

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