Vendredi 29 Mars 2013 à 13h07
Ces femmes étrangères que la France veut protéger
La ministre des droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, veut mieux protéger les femmes étrangères vivant en France, victimes, dans leur pays, de mariages forcés, de répudiation ou d’enlèvements d’enfants
La Commission nationale consultative des droits de l’homme doit lui soumettre, jeudi 28 mars, une série de recommandations qui doivent être intégrées dans la loi-cadre sur les droits des femmes, en mai.
Autour d’une grande table ovale, au ministère des droits des femmes, une vingtaine de femmes ont pris place. Parmi elles, la ministre, Najat Vallaud-Belkacem, qui veut « permettre au droit français de protéger les femmes étrangères » dont les droits sont bafoués dans leur pays, sans que la France, leur pays de résidence, puisse les aider.
Le débat est juridique, technique, austère… jusqu’à ce que l’une des victimes, enfin, interrompe la litanie du droit pour raconter son histoire, d’un bloc, précipité, avant de craquer. Et soudain, le sujet prend tout son sens.
Deux jours plus tard, un hidjab bleu encadrant son visage, Latifa, 32 ans, accepte de se raconter à nouveau. Originaire de Tunisie, elle a été mariée par ses parents à 25 ans, avec un Tunisien établi en France. De 2006 à 2010, elle a vécu avec « Monsieur », comme elle dit, sans papiers, séquestrée et battue, tout près, juste là, dans un pavillon de la banlieue parisienne. L’enchaînement des violences conjugales allié à la menace d’une expulsion la maintenant dans la peur et le silence.
PRIVÉE DE SES DEUX FILS
Son équilibre, précaire, ne tient qu’à ses deux fils, nés en France. Elle s’y accroche et refuse même de rentrer en Tunisie pour s’occuper de sa belle-mère malade, comme le veut son mari. Le 3 août 2010, quand il emmène les garçons pour une journée à Paris Plages, elle ne se méfie pas, prépare les goûters, des serviettes, des couches, et attend leur retour.
« Vers 22 heures, mon mari m’a appelée en disant qu’il était à l’aéroport et que si je voulais revoir mes enfants, il fallait venir en Tunisie. Et il a raccroché. J’ai eu envie de me jeter par la fenêtre. » Au commissariat, on lui dit de se calmer, que c’est du chantage. « Je ressasse sans fin cette soirée, car mes enfants n’ont décollé que quelques heures plus tard, on aurait pu les rattraper. »
Depuis, Latifa a à peine entrevu ses enfants, de loin. Elle a bien obtenu une décision d’un juge français qui, il y a un an, lui en a accordé la garde, en France, durant les vacances scolaires tunisiennes. Mais elle n’arrive pas à la faire appliquer. « Au commissariat, tant que mon mari aura des papiers et moi pas, la police ne m’écoutera pas. L’histoire leur semble trop compliquée. »
ABANDONNÉE DU JOUR AU LENDEMAIN
Ces récits, ubuesques et tragiques, sont quotidiens, assurent les associations. Aux enlèvements d’enfants s’ajoutent les répudiations, à l’occasion de vacances dans le pays d’origine. La femme ainsi rejetée devient une honte pour son pays et n’a plus de légitimité pour séjourner en France.
C’est ce qui est arrivé à Linda (1), d’origine algérienne. Son histoire débute comme celle de Latifa, par un mariage contraint avec un Franco-Algérien de trente ans son aîné. Emmenée en France, elle vit sous son emprise, battue, séquestrée.
À la naissance de son fils, elle part en vacances en Algérie avec son mari. À l’aéroport, elle lui confie ses papiers et ceux du nourrisson. Ils embarquent. Une fois sur le sol algérien, le mari disparaît avec les papiers. Elle ne le reverra jamais.
RÉPUDIÉE PAR SON MARI
« Son portable était éteint, sa famille refusait de me parler. Une semaine après, j’ai reçu la demande de divorce. » Abasourdie, abandonnée, Linda est répudiée un mois plus tard. Laissant son fils à ses parents, elle repart en France pour obtenir un duplicata des papiers de l’enfant.
Aujourd’hui, elle possède la carte d’identité de son fils, mais sa demande de papiers à elle, en tant que mère d’un Français, ne peut aboutir, car elle ne vit pas actuellement avec son fils.
Impossible de retourner le chercher, elle risquerait d’être bloquée là-bas ; impossible de le faire venir, car un de ses parents doit l’accompagner. « À nouveau, je suis dépendante de mon mari, lâche-t-elle, amère. Répudiée là-bas, sans vie commune avec un Français ici, et privée de mon fils, depuis des mois. »
VICTIME DE MARIAGE FORCÉ
Les femmes victimes viennent le plus souvent du Maghreb ou d’Afrique noire. Sans attaches en France, certaines viennent quand même y chercher l’asile. Mais le parcours administratif est un parcours de combattante vécu dans la douleur.
Originaire de Mauritanie, N’Dieme Abdallah Sy a fui son pays après sept ans d’un mariage forcé, arrangé par ses parents pour cacher son homosexualité, illégale dans son pays. Ses sept ans de vie commune avec son mari et ses deux épouses, les coups, les fausses couches, les humiliations, elle les a racontés à la Croix-Rouge, puis à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), puis à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).
SANS PAPIER NI STATUT
En vain. Faute de preuves et par méconnaissance des juges, elle n’a pas obtenu le statut de réfugiée. « Pourquoi n’avez-vous pas fui plus tôt ? », lui a-t-on demandé avec suspicion.« Comme si c’était si simple de partir ! C’est la preuve d’une méconnaissance totale des violences faites aux femmes, de leurs peurs, de leur enfermement », juge son avocate.« Il faut être vraiment forte, conclut N’Dieme en ravalant ses larmes. Je croyais qu’en Europe il y aurait des gens pour me permettre de vivre librement. Je me dévoile, je raconte, je précise. Mais je ne sais pas comment faire pour qu’on me croie. »
Crédits photo : Joël Saget/AFP
Source : www.la-croix.com