Les femmes ne sont peut-être pas les meilleurs patrons, mais ce ne sont pas non plus les meilleures employées.

Les femmes ne sont peut-être pas les meilleurs patrons, mais ce ne sont pas non plus les meilleures employées.

Depuis 20 ans, Amanda est une recruteuse très demandée pour des entreprises de technologie, et depuis peu, elle assure la supervision d'une douzaine d'autres recruteurs. Recruter peut se révéler très compétitif - la plupart des recruteurs sont payés à la commission - mais c'est aussi un travail de collaboration. Elle a souvent proposé d'aider ses collègues, trouve des pistes, et ils font la même chose qu'elle. Du moins les hommes. Les employés avec lesquels Amanda déclare avoir toujours le plus de mal sont les femmes. "Je trouve que mes collègues féminines sont en général moins désireuses de s'entraider", explique-t-elle. "Elles ont tendance à toujours discuter quel que soit le conseil que je donne, et semblent toujours prendre les critiques personnellement. Elles ne veulent pas de mon aide, et ne veulent surtout pas rendre la pareille."
 
J'ai récemment écrit à propos du nombre croissant de "reines des abeilles" dans le monde du travail, c'est-à-dire des femmes qui ont pour but de déstabiliser ou d'écarter leurs employées féminines, par sentiment d'insécurité, de compétitivité, ou en raison d'une certaine mauvaise volonté à venir en aide aux autres femmes. C'est probablement la raison pour laquelle, selon l'institut de sondages Gallop, les employés américains préfèrent, et de loin, leurs patrons masculins.
 
Mais bien qu'il soit facile - ou, du moins, courant - d'accuser les femmes au pouvoir d'être des despotes trop exigeants ou des mentors réticents à la tâche, est-ce bien la vérité ? Pas vraiment. La vérité est que l'intolérance entre femmes est complètement mutuelle, et qu'il est aussi difficile de diriger des femmes que de devoir leur rendre des comptes.
 
Les femmes subordonnées sont souvent moins respectueuses et déférentes envers leurs patronnes qu'elles ne le sont envers leurs patrons. Elles ont plus tendance à remettre en cause, à repousser, et s'attendent à un certain niveau de familiarité ou de camaraderie qu'elles n'attendent pourtant pas du tout de la part des hommes. Cela confirme cette grande tradition de femmes connues pour se montrer très critiques les unes des autres, une affirmation prouvée par la science : une étude publiée dans la revue Psychological Science a conclu que les femmes ont une vision négative des autres femmes dans leur vie - y compris les amies, les collègues, et oui, les patronnes - bien plus rapidement et librement que ne le font les hommes avec les autres hommes.
 
C'est le cas de Maria, une jeune avocate qui raconte avoir rencontré d'énormes difficultés à engager une secrétaire. "Elles semblaient toutes vouloir me materner, et pas de la bonne façon", explique Maria. "Quand je leur ordonnais - gentiment, croyais-je - d'effectuer certaines tâches, ou refusais de passer plus de quelques minutes à bavarder, j'avais droit à des regards blessés. Comme si je venais de rouler sur leur chat." Elles commentaient le nombre d'appels que Maria recevait au travail de soupirants, la longueur de ses jupes, puis se vexaient immédiatement quand elle demandait quand tel ou tel rapport serait disponible. 
"Or, ajoute Maria, vous savez bien qu'elles ne diraient jamais rien au collègue de l'autre côté du couloir à propos de ses pantalons trop serrés !". Finalement, elle a engagé un jeune homme de 23 ans.
 
Les recherches confirment que les employées féminines placent à une échelle de valeurs différente leurs managers femmes et leurs homologues masculins, comme cela a été établi dans une étude publiée par le British Journal of Management. Elles seront plus enclines à rejeter les patronnes qui dirigent de façon traditionnelle, ou "comme des hommes", mais est-ce le cas si le chef est un homme ? Non. Cela vient peut-être du fait que nous restons bloquées sur d'anciennes attentes sociétales concernant le rôle des femmes devant servir les hommes. Ou peut-être parce que certaines femmes profitent du succès d'une femme manager pour s'examiner d'un œil critique. Et quand cet examen ne s'avère pas positif, elles auront tendance à le retourner sur "la connasse qui occupe ce super bureau", comme peut-être, dans le cas d'Amanda.
 
Etre une patronne constitue un cercle vicieux classique. Pour que les femmes réussissent, il faut qu'elles soient différentes, extraordinaires, et pas trop émotives. Mais pour qu'elles soient respectées par leurs collègues féminines, on doit pouvoir s'en sentir proche, les trouver appréciables et elles doivent "être comme tout le monde". Quand ce n'est pas le cas, il y a une forte opposition. Regardez Marisa Mayer, qui a été très critiquée lorsqu'elle a décidé d'interdire le télétravail, une décision qu'elle a prise pour que l'entreprise fonctionne mieux - en d'autres termes, pour faire le travail pour lequel elle a été engagée.
 
Une autre femme que j'ai rencontrée, Lorri, décrit le département entièrement féminin qu'elle dirige dans un lycée comme "le retour de l'équipe de pom-pom girls". Depuis son premier jour de travail, elle s'est sentie jugée en permanence. Pour ses décisions, pour ses chaussures. Elle a entendu la façon dont les femmes qu'elle supervise parlent des autres enseignantes, et ne peut qu'imaginer la façon dont elles parlent d'elle. Quand Lorri a mis en place de nouvelles restrictions en réponse à de grandes coupures budgétaires du district, y compris une limite des dépenses et l'obligation d'assurer un soutien des étudiants deux fois par mois après l'école, l'intégralité du personnel a arrêté de lui parler. Elle a remarqué que dans le même temps, les directeurs masculins de l'école ont pu mettre en place ces changements avec bien moins de ronchonnements de la part de leurs subordonnées féminines. "Elles savaient que la décision ne venait pas de moi", m'a confié Lorri. "Mais dans mon département, c'est comme si elles cherchaient juste des excuses pour s'en prendre à moi".
 
Elles l'ont fait probablement. Il y a beaucoup de femmes qui correspondent au profil de la reine des abeilles. Mais selon l'étude du British Journal of Management, les femmes sont aussi susceptibles de cataloguer l'une des leurs comme en étant une, même quand ce n'est pas le cas. Les femmes s'attendent souvent à ce que les femmes à la tête d'un bureau le dirigent comme un foyer. Et quand ces dernières le dirigent comme une véritable entreprise - comme c'est le cas de Mayer - bien des femmes se sentent trahies. Maria a souvent pensé que les secrétaires féminines la considéraient comme froide et distante. Ce n'était pas son souhait, mais elle a dû en passer par là pour que les choses soient faites. Et franchement, elle avait besoin de leur aide sur d'autres points que la longueur de ses jupes.
 
Les femmes brillantes doivent-elles pour autant être aimées ? Pas plus que les hommes brillants. Et elles n'ont pas plus le devoir de représenter toutes les femmes, ni mêmes certaines. Alors qu'on assiste à une augmentation des femmes accédant à des postes à responsabilité, des gens ont imaginé que l'environnement de travail deviendrait plus humain, plus doux. Peut-être que cela se produira ; peut-être pas. Mais il est certain que la responsabilité ne repose pas seulement sur la reine des abeilles. Elle repose aussi sur ses abeilles ouvrières.
 
X