Vendredi 1 Mars 2013 à 10h02
Couples : le grand décalage
Dix ans d’écart, ça va. Mais pour certains, au-delà, c’est bonjour les dégâts. Les amis qui désapprouvent, les centres d’intérêt qui divergent et l’angoisse du fossé qui s’installe. Dans quelles circonstances est-ce le plus compliqué à vivre ? Et quels sont les secrets pour sauter aisément le gué des années ?
Il a 20 ans, elle en a 38. Il est à la fac, elle travaille trop. Il a un scooter rose, elle ne se déplace qu’en taxi. Elle ne supporte plus très bien l’alcool ni les couchers tardifs, lui si. Et pourtant, ça fonctionne. Dans 20 ans d’écart, de David Moreau (1), on a envie de croire au couple que forme cette journaliste pimpante, faussement sûre d’elle et diablement seule, et ce jeune Candide au romantisme pur sucre. Mais dans la vraie vie, quand le film s’arrête, est-ce plausible ? Si Alice et Balthazar existaient, comment concilieraient-ils leurs deux univers ? Le comportement d’une Demi Moore ou d’une Eva Longoria a tellement été scruté et décrypté que le mot cougar a fini par passer dans le langage courant. Oui, mais voilà, les histoires de ces dames, si romanesques soient-elles, n’ont pas duré. Pourquoi ? Parce qu’Ashton a trop tweeté et que Demi n’a pas suivi ? Parce que les phases pseudo-gangstas de Tony P. (on se souvient de l’inénarrable Balance-toi) ont fini par ne plus amuser Eva ?
Dans 20 ans d’écart, si cette aventure la fait passer dans la catégorie des branchées aux yeux de ses collègues, Alice craint la réaction de sa fille ou de sa sœur. Même si les mentalités évoluent, il est encore difficile pour une femme d’assumer une histoire avec un partenaire qui affiche quinze ans de moins au compteur. Cela prend toujours des airs de révolution sexuelle, alors que les hommes, eux, n’ont jamais eu à s’excuser de faire chavirer une jeunette. « Qu’un papi de 80 ans soit encore dragueur, c’est revigorant, ça nous rassure sur le fait que la vieillesse n’est pas la fin de tout. Mais si c’est votre grand-mère, c’est autre chose ! », analyse la psychanalyste Sophie Cadalen. « Du côté des femmes, on n’est pas encore sortis de ce sentiment d’indécence. Aujourd’hui, on reconnaît une sexualité aux femmes, mais c’est très récent. Et cela veut dire aussi que ça ne s’arrête pas avec le temps, continue Sophie Cadalen. On est toujours dérangés par cette idée-là, parce que l’image de la femme colle encore à celle de la mère, de quelqu’un qui, quelque part, met sa sexualité sous cloche. »
Cela dit, les hommes en couple avec des femmes de treize ou seize ans leur aînée essuient eux aussi quelques stéréotypes : « Il y a toujours un soupçon d’être materné, voire entretenu par ces femmes-là. On aimerait trouver une raison tangible à cette relation – le profit, l’intérêt –, mais c’est beaucoup plus compliqué que ça. »
(1) Avec Virginie Efira et Pierre Niney. En salles le 6 mars.
assurance”
“M'avoir à ses côtés lui donnait satisfaction et assurance”
À 34 ans, Estelle a eu une histoire avec un homme de 14 ans son aîné. « Nous n’avions pas le même look, et il portait ses années sur son visage. Dans la rue, nous ne passions pas inaperçus. » Si le regard des inconnus était parfois violent, les amis de son compagnon n’étaient pas plus tendres avec elle : « J'étais quasiment en décalage avec tous. J'étais trop différente, trop jeune pour eux. De mon côté, j'avais peu d'amis à l'époque et il ne les appréciait pas. » Le fossé se retrouvait aussi au niveau de leurs centres d’intérêt : « Il aimait les activités tranquilles et répétitives, il passait des heures à préparer un dîner... Moi, j’étais tout le contraire ! »
Et pourtant, leur histoire a tout de même duré sept ans. « Je sentais que m'avoir à ses côtés lui donnait une certaine satisfaction et de l'assurance quand nous arrivions dans un lieu inconnu. » Un couple peut-il durer par le regard des autres ? Pour Sophie Cadalen, c’est tout sauf un garant de pérennité : « On adore quand les autres nous renvoient à quel point notre histoire est formidable. Or, on est extrêmement fragile si on s’en remet à ça. »
Alors, quel est le secret pour enquiller les années ? « Comme pour tous les couples, la question de la durabilité doit être repoussée le plus loin possible, continue Sophie Cadalen. Ceux qui durent sont ceux qui vivent pleinement leur présent. Plus on est en cohérence avec celui-ci, plus on est armé pour aligner les lendemains. » Pour la psychanalyste, mieux vaut éviter, donc, les plans sur la comète et les anticipations angoissantes.
S’affranchir de ce que pensent les uns et les autres
Pour Mélanie, 40 ans, ce sont surtout les circonstances qui ont posé problème quand elle est tombée amoureuse de Laurette, 27 ans aujourd’hui : « Elle était étudiante dans l'école supérieure où je travaillais. En plus, nous étions en couple avec des personnes de nos âges. » Aujourd’hui, les deux femmes sont pacsées depuis cinq ans et ont un fils de 3 ans. « Je suis une habituée des grands écarts, j'ai vécu quatre ans avec une fille de neuf ans mon aînée et deux ans avec une fille de neuf ans ma cadette. » Avec Laurette, elle avoue quand même appréhender un peu le moment de la retraite : « Il va falloir que je trouve une occupation en l'attendant ou alors que je continue à travailler ! »
Mais pour elle, c’est avant tout stimulant de partager sa vie avec une femme de treize ans sa cadette. « Laurette est très mature pour son âge et moi, je ne me vois pas vieillir », confie Mélanie, qui estime n’avoir jamais souffert du regard de l’entourage sur sa relation. « S’affranchir de ce que pensent les uns et les autres, c’est le défi que doit surmonter tout couple, conclut Sophie Cadalen. Il faut réussir à slalomer entre les tentations de répondre quelque chose à la question : “Mais qu’est-ce qu’ils font ensemble ?” »
Tout pour plaire, et toujours célibataire, de Sophie Cadalen et Sophie Guillou, (ed. Albin Michel)
Source : www.madame.lefigaro.fr