Les microbes font de la résistance

Les microbes font de la résistance

La mise en cause de la performance des antibiotiques bat son plein.

La faute à qui ? Plusieurs coupables sont pointés du doigt : utilisation à outrance, tourisme médical, apparition de bactéries tenaces...
Sommes nous en train de perdre la guerre contre les microbes ?

Si la bataille contre les virus (grippe, sida, chikungunya...) est loin d'être achevée, celle contre les bactéries semblait gagnée. Depuis la découverte de la pénicilline par l'Écossais Alexander Fleming en 1928, nombre d'autres antibiotiques ont été développés. Certains de la suprématie de cet arsenal biologique, les hommes ont alors naïvement cru le problème définitivement réglé. Or, il n'en est rien. À force d'utiliser les antibiotiques à tort et à travers, et d'avoir laissé la recherche s'essouffler, la situation est devenue critique : de plus en plus de germes ne répondent plus aux traitements. Plus de 70 % des bactéries responsables d'infections dans les hôpitaux résistent, aujourd'hui, à au moins une classe d'antibiotiques. Et une poignée d'entre eux sont désormais carrément rebelles à presque tous les antimicrobiens existants. Selon l'Assurance maladie, 16 % des souches impliquées dans les infections urinaires ­ affections a priori banales ­ s'avèrent même à présent insensibles aux fluoroquinolones, médicaments donnés en dernier recours.

 
Pire : beaucoup de gonocoques deviennent également intraitables. Ces microbes sexuellement transmissibles, vecteurs de la blennorragie, étaient naguère endigués avec de la pénicilline, des sulfamides, des tétracyclines ou des macrolides. Or, ces antibiotiques sont tous devenus tour à tour inopérants. Seul la ceftriaxone en vient dorénavant à bout, au prix de doses de plus en plus fortes, puisque certaines souches commencent déjà à montrer des signes de résistance (10 à 15 %, d'après l'Institut Fournier, à Paris). Face à cette escalade, les infectiologues et les sociétés savantes du monde entier multiplient les signaux d'alarme. Car si notre palette d'antibiotiques ne parvenait plus à maîtriser les bactéries pathogènes, nous risquerions de retourner un siècle en arrière, à l'époque où une simple blessure pouvait dégénérer en infection mortelle. Les suites opératoires des interventions chirurgicales complexes, comme une pose de prothèse ou une greffe d'organe, deviendraient aussi problématiques. Heureusement, nous n'en sommes pas là. Mais « le nombre d'impasses thérapeutiques augmente tout de même sérieusement au fur et à mesure de l'émergence et de la propagation des bactéries multirésistantes », observe le Pr François Bricaire, chef du service maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital La Pitié-Salpêtrière, qui a présidé en mai dernier un colloque scientifique à Paris sur le sujet.

Depuis quelques années, les apparitions de bactéries tenaces ne sont en effet plus anecdotiques en France. En 2010, des germes résistants à la pénicilline, aux céphalosporines ainsi qu'aux carbapénèmes (dernier rempart utilisé dans les hôpitaux) ont été détectés en région parisienne. Originaires du sous-continent indien (Pakistan, Inde, Bangladesh), ils étaient porteurs d'un terrible gène : le NDM1 qui peut sauter d'une espèce bactérienne à l'autre et métamorphoser ainsi un microbe inoffensif en redoutable « microbe mutant ». Des entérobactéries (Klebsiella pneumonae) résistantes à presque tous les antibiotiques ont également été signalées, durant l'été 2011 à l'hôpital JacquesCartier de Massy (91). La contamination provenait cette fois d'un patient rapatrié de Grèce un mois auparavant. Le temps que les médecins le décèlent, cet ennemi invisible s'était déjà disséminé vers d'autres malades, provoquant chez eux des infections respiratoires sévères. Depuis, bien d'autres cas ­ moins médiatisés mais tout aussi préoccupants ­ sont survenus. « Avec la mondialisation des échanges, on en voit de plus en plus dans nos services, admet le Pr Bricaire. La plupart proviennent de pays émergents qui souffrent de la surpopulation, d'un manque d'hygiène et où les antibiotiques sont hélas en vente libre, comme en Inde et dans plusieurs régions d'Afrique, d'Amérique centrale ou latine. Un nombre croissant arrive également du pourtour méditerranéen, du Maroc, de Grèce et même d'Italie. »

Le tourisme médical, un facteur de risque

Les souches récalcitrantes prolifèrent souvent d'abord en milieu hospitalier en raison de la concentration de malades, puis elles se répandent en catimini en ville avant de diffuser par avion, bateau, train ou voiture dans le monde entier. « Le tourisme médical et esthétique représente ainsi de fait un vrai danger, dans la mesure où il participe massivement à la dissémination des bactéries pathogènes, affirme le Pr Patrice Nordmann, chef du service de bactériologie, virologie, parasitologie de l'hôpital Bicêtre (94). Les 400 000 à 500 000 étrangers, qui se font hospitaliser chaque année en Inde pour une pose de prothèse de hanche ou une opération des coronaires, par exemple, sont des véhicules potentiels de bactéries multirésistantes. De même, la plupart des Français qui reviennent après une hospitalisation à Marrakech en sont porteurs. »

En cas de pépin de santé, mieux vaut donc se faire rapatrier plutôt que d'aller à l'hôpital dans un pays où la cote d'alerte est dépassée. « Et lorsqu'on a reçu des soins à l'étranger, il ne faut pas oublier de le mentionner systématiquement à son médecin traitant. Même s'il s'agit d'une intervention de confort », conseille le Pr Nordmann. Car bien que la situation ne soit pas encore catastrophique, la résistance microbienne fait déjà des victimes : environ 25 000 décès par an en Europe, dont près de 4 000 en France, seraient liés à des infections de bactéries résistantes, non traitées faute d'antibiotiques efficaces, estime le Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies (ECDC).

Mais comment avons-nous pu en arriver là ? À force d'employer les antibiotiques de manière irraisonnée, aussi bien en cas d'agression bactérienne que face à une infection virale sur lesquelles ils sont pourtant inopérants, nous avons signé nous-mêmes leur arrêt de mort. « Les bactéries sont des êtres vivants qui ont un objectif de base : survivre, explique le Pr Bricaire. « Lorsqu'elles sont attaquées, elles développent des moyens de défense pour résister. Elles mutent génétiquement pour devenir imperméables à leurs assaillants ou bien produisent des enzymes capables de les anéantir. Ces mutations se transmettent de génération en génération et peuvent parfois aussi être transmises aux bactéries voisines. » Résultat : au fil des années, de plus en plus de germes résistants apparaissent.
Pénurie actuelle d'antibiotiques efficaces

Ce phénomène n'est certes pas nouveau. Les bactéries déploient cette arme depuis plus d'un demisiècle. En 1947 , la streptomycine ne parvenait déjà plus à terrasser toutes les méningites tuberculeuses, une forme particulière de tuberculose. Mais nul ne s'en alarmait outre mesure puisque de nouveaux bactéricides étaient, à l'époque, régulièrement mis sur le marché. Entre 1940 et 1970, plus de cent nouveaux antibiotiques ont été développés. Mais les choses ont bien changé. La vente de ces médicaments étant peu lucrative, la majorité des grands laboratoires ont déserté ce secteur de recherche pour investir sur des traitements plus rentables, comme les antidiabétiques ou antihypertenseurs, par exemple. D'où la pénurie actuelle d'antibios efficaces.

La consommation abusive d'antibiotiques par l'homme n'est pas seule en cause. Bétail et volaille en absorbent aussi à foison. D'importantes quantités sont en effet administrées aux animaux à des fins vétérinaires, dans un but thérapeutique ou préventif. Dans les élevages industriels, ils sont souvent même distribués à l'aveuglette à l'ensemble du troupeau, et non de manière ciblée aux seules bêtes malades. Pire : ils ont également longtemps été donnés pour stimuler leur croissance. Sans que l'on sache vraiment pourquoi, les porcs, boeufs et poulets qui ingèrent ces molécules à faibles doses grandissent plus vite que les autres, tout en absorbant moins de nourriture. Cette pratique, interdite depuis dix ans en Europe mais toujours en vigueur dans nombre de pays, dont les États-Unis, contribue largement à l'apparition de résistances. Surtout que les antibiotiques vétérinaires appartiennent aux mêmes catégories que ceux utilisés chez l'homme


Tout n'est pas perdu, la riposte est en marche

Fort heureusement les consciences se réveillent. La France a élaboré un plan visant à réduire encore d'un quart d'ici à cinq ans l'usage des antibiotiques vétérinaires, dont le tonnage a déjà diminué de plus de 20 % au cours de la dernière décennie. Et l'Organisation mondiale de la santé animale, l'équivalent de l'OMS pour les animaux, organisera en 2013 une conférence internationale à Paris sur le sujet dont il sortira sûrement de nouvelles recommandations mondiales.

Dans les labos pharmaceutiques, la riposte est en marche. Quelques nouveaux antibiotiques sont en cours de développement. Les premiers devraient arriver sur le marché d'ici deux à trois ans. Mais cela ne suffira pas à préserver l'une des plus extraordinaires découvertes de la médecine si nous ne changeons pas de comportements. À commencer par les médecins qui doivent cesser de prescrire à toutva et recourir aux tests de diagnostic permettant de déceler la nature d'une infection. Si celle-ci est virale, comme c'est le cas de 80 % des angines chez l'adulte par exemple, les antibiotiques sont exclus. « Trop peu de généralistes utilisent ces tests, déplore le Pr Bricaire. Quant aux patients, ils doivent aussi se responsabiliser et cesser de réclamer des antibiotiques à leur médecin à la moindre poussée de fièvre. » Ne piochez pas non plus dans les vieux comprimés de votre armoire à pharmacie. Ils pourraient vous faire plus de mal que de bien.


Tout n'est pas perdu, la riposte est en marche

Fort heureusement les consciences se réveillent. La France a élaboré un plan visant à réduire encore d'un quart d'ici à cinq ans l'usage des antibiotiques vétérinaires, dont le tonnage a déjà diminué de plus de 20 % au cours de la dernière décennie. Et l'Organisation mondiale de la santé animale, l'équivalent de l'OMS pour les animaux, organisera en 2013 une conférence internationale à Paris sur le sujet dont il sortira sûrement de nouvelles recommandations mondiales.

Dans les labos pharmaceutiques, la riposte est en marche. Quelques nouveaux antibiotiques sont en cours de développement. Les premiers devraient arriver sur le marché d'ici deux à trois ans. Mais cela ne suffira pas à préserver l'une des plus extraordinaires découvertes de la médecine si nous ne changeons pas de comportements. À commencer par les médecins qui doivent cesser de prescrire à toutva et recourir aux tests de diagnostic permettant de déceler la nature d'une infection. Si celle-ci est virale, comme c'est le cas de 80 % des angines chez l'adulte par exemple, les antibiotiques sont exclus. « Trop peu de généralistes utilisent ces tests, déplore le Pr Bricaire. Quant aux patients, ils doivent aussi se responsabiliser et cesser de réclamer des antibiotiques à leur médecin à la moindre poussée de fièvre. » Ne piochez pas non plus dans les vieux comprimés de votre armoire à pharmacie. Ils pourraient vous faire plus de mal que de bien.

Surveiller sa consommation

En dix ans, la consommation d'antibiotiques a chuté de 16 % dans l'Hexagone, notamment grâce aux campagnes d'information répétées de l'Assurance maladie. Mais « la France reste encore nettement au-dessus de la moyenne européenne », indique Dominique Maraninchi, directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), dans un rapport de juillet 2012 sur le sujet. Environ 130 millions de boîtes sont vendues chaque année, soit une dose journalière supérieure à 28 pour 1 000 habitants, bien plus qu'aux Pays Bas (11,4), qu'en Allemagne (14,9) ou qu'en Grande-Bretagne (17,3). Pourtant, les efforts se relâchent déjà, notamment chez les femmes qui ingurgitent 57,3 % des antibiotiques alors qu'elles ne représentent « que » 52,3 % de la population. Cherchez l'erreur...


Miser sur les probiotiques

Les antibiotiques font des ravages sur la flore intestinale en détruisant les bactéries « amies » hébergées dans notre tube digestif en même temps que les pathogènes. Or, nombre d'études scientifiques récentes ont démontré l'importance de cette flore. « Elle joue un rôle majeur dans notre santé. Ses perturbations sont à l'origine d'allergies, de maladies coeliaques (intolérance au gluten), de désordres immunitaires ou de prise de poids inexpliqués », précise le Pr Stanislav Dusko Ehrlich, microbiologiste à l'Institut national de recherche agronomique (Inra). En rétablissant son équilibre à l'aide de probiotiques (yaourts ou compléments alimentaires), on diminue un peu les risques. Mais pour une vraie action ciblée, il faudrait savoir quels probiotiques sont efficaces contre quels antibiotiques. Des recherches sont en cours.

Source : www.marieclaire.fr

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