Mercredi 9 Janvier 2013 à 15h09
Volupté bien ordonnée commence par soi-même
Interview d’Elisa Brune, auteure de “La Révolution du plaisir féminin : sexualité et orgasme”
N’en déplaise aux discours ambiants, jouir n’est pas une mince affaire. Cela sous-entend de connaître son corps, de l’avoir apprivoisé pour savoir ce qui le fait (vraiment) vibrer. Dans un livre passionnant (1), l’essayiste Elisa Brune a suivi la piste de la quête du plaisir sexuel sous toutes ses formes. Elle prône un hédonisme sincère, loin des clichés médiatiques. Interview.
Quels sont les indices qui vous permettent d’affirmer qu’une révolution sexuelle est en marche ?
Il est possible de parler aujourd’hui de plaisir et d’orgasme. Le dernier bastion de l’intimité est en train de se découvrir au regard et à l’analyse, et le paysage est bien plus diversifié qu’on ne pouvait l’imaginer.
À une époque pas si éloignée, les femmes restaient seules avec leurs questions. Aujourd’hui, elles considèrent l’accès au plaisir comme un droit, en tout cas comme quelque chose qui les concerne directement, et non plus comme une espèce de rumeur ou de mystère qui plane.
Qu’est-ce qui vous a le plus surprise dans votre enquête ?
J’ai été surprise par le chemin difficile que représente encore le plaisir pour beaucoup de femmes. Je suis étonnée de voir combien de couples ne font presque jamais l’amour, contrairement au matraquage qu’on nous vend dans les médias. Les femmes peinent à briser le silence qui entoure ces questions dans le couple. Elles sont toujours très inhibées par tout ce qui traîne dans notre culture, sur ce qui est convenable ou pas et sur cette attitude quasi obligatoire de s’occuper d’abord de l’homme.
(1) La Révolution du plaisir féminin : sexualité et orgasme (éd. Odile Jacob).
Écouter ce qui fait chanter son corps
Que pensez-vous d’une instauration, à l’école, d’une éducation, si ce n’est sexuelle, mais au moins à la connaissance du corps, pour combler ce vide ?
Dans un monde idéal, cela devrait faire partie de l’éducation de base. Au moins que les jeunes aient des bases correctes d’anatomie. En l’absence de cela, la seule lueur d’espoir réside dans le développement d’une éducation sexuelle pour adultes. Des formations plus ou moins poussées, comme celles que j’ai vues en Californie, dans des love shops, qui se développent également en Europe. Ces cours de rattrapage sont les bienvenus, mais demandent des personnes qui possèdent une formation d’éducateur sexuel… et ils sont rares. On est encore dans un analphabétisme sur ces questions.
Quels profils de femmes avez-vous rencontrés dans ces « cours de rattrapage » dont vous parlez ?
Un condensé de la société. J’ai été très heureusement surprise, j’ai vu des assemblées très disparates en termes d’âges ou de profils socioculturels, de l’adolescente à la femme de 60 ans.
Il faudrait sortir de l’idée qu’il y a un mode d’emploi
Est-ce que la norme, en matière de sexualité, pèse aussi et de quelle manière ?
Il faudrait sortir de l’idée qu’il y a un mode d’emploi, une norme, quelque chose à suivre et à réussir. Il y a parfois le danger d’aller dans un excès inverse, de se soumettre à une morale jouisseuse. On voit des adolescentes qui ont des comportements débridés sans que cela leur convienne. Elles cherchent à être une image, un bon coup. C’est le même processus qu’avant, on veut toujours être la bonne fille ! En agissant ainsi, elles s’oublient, se nient. Elles n’écoutent pas leur corps, ce qui pourrait le faire chanter.
Le dernier endroit où l’on peut être libre
Dans votre livre, vous écrivez aussi que les femmes doivent se débarrasser du syndrome du prince charmant. De quoi s’agit-il ?
C’est le terrible héritage du romantisme. La femme attend que l’homme arrive avec sa science, mais précisément, il n’y connaît rien ! Les femmes pensent que le plaisir sexuel vient en cadeau avec l’amour. Or c’est presque l’inverse qui se produit. Il amène un stress émotionnel et des complexes vis-à-vis de ce qu’on voudrait montrer à l’autre.
Il ne faut pas oublier son corps.
Vous estimez, dans le livre, que le plaisir se perfectionne, comme la pratique d’un instrument. C’est-à-dire ?
Le plaisir s’apprend et suppose des connaissances théoriques et anatomiques. La masturbation est indispensable pour mettre en place les circuits du plaisir dans le cerveau. La sexualité devrait être une exploration. Nos représentations du sexe sont extrêmement stéréotypées alors qu’il y a une incroyable diversification possible.
C’est l’un des seuls lieux d’activité où nous n’avons aucune directive, aucun patron, ni agent de police. C’est le dernier endroit où l’on peut être libre. Alors, pourquoi n’en profite-t-on pas ?
Est-ce par paresse ?
Oui, il y a les pesanteurs, la routine, mais aussi un manque d’imagination notable. Les femmes se plaignent de ne plus avoir de désir, mais comment en avoir si l’on fait l’amour chaque fois de la même façon, en fin de soirée, fatiguée, sans être investie ? Or, en une soirée, une femme peut redevenir désirante simplement parce qu’elle a changé de procédure. Il ne faut pas oublier son corps. Si l’on ne fait rien, il s’endort et devient progressivement un bloc de béton.
Source : wwww.madame.lefigaro.fr