Qui était Marceline Desbordes-Valmore, la poétesse engagée inspirée par les révoltes de Lyon ?

Qui était Marceline Desbordes-Valmore, la poétesse engagée inspirée par les révoltes de Lyon ?
Marceline Desbordes-Valmore - DR

Femme de théâtre, Marceline Desbordes-Valmore va d'abord s'imposer comme actrice à Bruxelles avant de venir à Lyon jouer au Grand Théâtre. C'est à l'âge de 44 ans qu'elle va publier des textes inspirés des deux grandes révoltes des Canuts qui lui permettront de s'affirmer comme l'une des plus grandes poétesses françaises avec Louise Labé, également lyonnaise.

Marceline Desbordes est née à Douai le 20 juin 1786. C'est la dernière fille d'un couple assez aisé. Le père, Antoine-Félix, est peintre en armoiries et travaille pour la noblesse. Tandis que la mère, Catherine Lucas, d'origine espagnole, est une femme sensible et cultivée.

L'éducation de l'enfant est tourmentée par la Révolution qui secoue la France et provoque la faillite de son père. Elle n'a que 4 ans lorsque ses parents se séparent en 1790. Marceline Desbordes suit sa mère qui part s'installer avec son amant, mais ses relations avec son beau-père sont très difficiles et vont la marquer.

La jeune Marceline ne fait pas d'études. Sa mère, qui a des relations dans le milieu du théâtre, la pousse à monter sur les planches à 13 ans, puis la fait entrer dans une troupe à Lille. Mais deux ans plus tard, il faut tout abandonner car Catherine Lucas décide de partir pour les Antilles où vivent de lointains cousins.

Quelques mois après son arrivée en Guadeloupe, la mère contracte la fièvre jaune et meurt. Marceline doit alors revenir en France, seule et sans le sou. Elle retrouve son père à Douai, où il exerce désormais le métier modeste de cantonnier municipal.

Pas très jolie et manquant encore de talent, l'adolescent obtient de petits rôles dans le Nord. Elle a toutefois du charme, de grands yeux noirs, un teint mat ibérique et une grande bouche. Son courage et sa détermination, couplés à des cours de chant et de danse, lui permettront de se faire engager à l'Opéra-comique de Paris.

Elle mène une vie de comédienne, très libre, entretien un certain nombre de liaisons. Et d'ailleurs, elle finit par tomber enceinte d'un certain Lacour, qui va aussitôt l'abandonner.

Alors qu'elle envisage de renoncer au théâtre, sa soeur et ses amies la poussent à poursuivre dans cette voie. Marceline accouchera finalement mais son bébé décèdera quelques semaines après sa naissance.

Désemparée, la jeune femme va alors trouver un protecteur en la personne du célèbre compositeur André Grétry. En 1810, elle a 24 ans et il la fait engager au théâtre de la Monnaie de Bruxelles.

Durant une dizaine d'années, Marceline Desbordes joue tout le répertoire classique en Belgique : Molière, Racine, Beaumarchais… Ses premiers rôles lui valent un succès critique et populaire. Elle vivra également une passion tumultueuse avec le journaliste pamphlétaire, pas encore patron du Figaro, Henri de Latouche.

Par dépit, elle se marie en 1817 avec François-Prosper Lanchantin, un acteur assez médiocre qui joue sous le nom de Valmore. Ensemble, ils auront quatre enfants : Junie, qui meurt peu après sa naissance, Hippolyte, Ondine et Inès.

Le début d'une histoire fusionnelle avec Lyon

Le couple s'installe quatre ans plus tard à Lyon, puisque Marceline et François-Prosper ont obtenu un engagement d'un an au Grand Théâtre, l'actuel Opéra de Lyon.

A 35 ans, elle séduit le public lyonnais en jouant le rôle d'Agnès dans "L'école des femmes" de Molière et Rosine dans le "Barbier de Séville" de Beaumarchais.

Engagée à Bordeaux, Marceline Desbordes-Valmore s'intègrera durablement dans la vie lyonnaise en multipliant les séjours. Au total, elle aura vécu une dizaine d'années entre Rhône et Saône. En 1827 notamment, elle rencontre Juliette Récamier qui lui présente ses amis poètes, journalistes, philosophes…

Avec sa famille, la Nordiste vit au dernier étage d'un immeuble de la rue de la Monnaie, au coeur d'un quartier sale et populaire, à proximité des docks sur la Saône. "A Lyon, on me jetait des fleurs, mais je rentrais affamée à la maison", écrivait-elle.

Progressivement, Marceline s'éloigne du théâtre pour se lancer dans la littérature. Ses premières poésies sont écrites en 1819, son style très simple et dépouillé est imagé. C'est de la poésie populaire, et cela tombe bien puisqu'à l'époque, la poésie est populaire. Les recueils sont tirés à des milliers d'exemplaires, on récite même de la poésie en public.

Incontestablement, Lyon est une ville qui marque l'artiste et son oeuvre. Dans sa poésie, elle donne une image très noire de la capitale des Gaules. Marceline Desbordes-Valmore est scandalisée par le contraste entre la pauvreté du peuple et le luxe dans lequel vivent quelques riches bourgeois. Pour elle, Lyon sera toujours "la ville de toutes les misères nues".

Et en novembre 1831, elle est aux premières loges pour assister à la première révolte des Canuts. L'évènement social la rapproche encore du peuple et l'exalte tout en inspirant fortement sa plume. Elle doit toutefois quitter Lyon pour suivre son mari engagé à Rouen. C'est à cette époque qu'elle publie son premier recueil, préfacé par Alexandre Dumas. Et en 1834, quand elle revient à Lyon, la deuxième révolte des Canuts éclate !

Depuis son logement de la place des Terreaux, elle est aux premières loges pour assister à la sanglante répression de l'émeute par Louis-Philippe. "Même si ce spectacle m'empêche de manger et de dormir, je ne peux m'empêcher de regarder", concède-t-elle.

Dans le dénuement, Marceline Desbordes-Valmore tient à verser son obole aux victimes. Elle rend aussi visite aux accusés qui attendent leur jugement, entassés dans la nouvelle prison de Perrache.

Certains de ses plus beaux poèmes lui ont été dictés par de telles visions.

Conséquence de la révolte des Canuts, les théâtres restent fermés durant six mois et son mari se retrouve au chômage. La poétesse demande à son éditeur de lui avancer de l'argent.

Puis, en 1837, direction Paris où François-Prosper Lanchantin est nommé administrateur de l'Odéon.

Marceline Desbordes-Valmore n'oubliera jamais ses terribles années lyonnaises, qu'elle évoquera à maintes reprises dans sa correspondance. Elle gardera aussi des liens très forts avec Juliette Récamier, devenue aveugle et dont elle s'occupera jusqu'à sa mort, emportée par le choléra en 1849.

La poétesse connaîtra elle une dernière satisfaction avant de décéder d'un cancer le 23 juillet 1859. Deux ans plus tôt, elle obtient le grand prix de l'Académie française pour son dernier recueil "Allez en paix".

"Je me sens lyonnaise. J'y ai beaucoup souffert, j'y ai beaucoup vu souffrir. J'y reste liée de liens éternels", écrivait celle qui revendiquait "épouser entièrement la cause du peuple".

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