Qui était Julie de Lespinasse, la Lyonnaise qui fut la demoiselle des Lumières ?

Qui était Julie de Lespinasse, la Lyonnaise qui fut la demoiselle des Lumières ?
Julie de Lespinasse - DR

Née dans une grande famille aristocrate lyonnaise, Julie de Lespinasse ne sera jamais reconnue par sa mère qui va pourtant l'élever et la protéger. Avant qu'elle prenne son indépendance en ouvrant un salon à Paris où cette femme vive et intelligente va séduire toute l'intelligentsia de l'époque, notamment les philosophes Diderot et d'Alembert. Surnommée la demoiselle des Lumières, elle a pourtant été relativement oubliée aujourd'hui.

Officiellement, elle est née dans une famille de bourgeois lyonnais, Claude et Julie Lespinasse. Mais lorsqu'elle a été baptisée le 10 novembre 1732 à la paroisse Saint-Paul, une petite croix a été inscrite sur le registre à côté de son prénom. C'était le code utilisé à l'époque par les curés pour signaler les naissances illégitimes.

Sa mère biologique, Julie-Claude d'Albon, appartient à une grande famille lyonnaise d'origine dauphinoise qui compte parmi ses ancêtres célèbres le maréchal de Saint-André. Ce dernier s'était, au XVIe siècle, distingué dans les guerres de religions. Plus tard, sous Napoléon, un d'Albon sera également maire de Lyon.

Le père, le vrai, on pense que c'était l'amant de Julie-Claude d'Albon, un certain Gaspard de Vichy-Chamrond.

Si l'enfant n'est pas reconnue, c'est parce que sa mère est mariée avec un autre d'Albon. Et s'ils vivent séparés, ils ne sont pas divorcés, car il leur fallait l'autorisation du pape. Son mari s'est retiré sur ses terres du Roannais et elle vit avec ses deux enfants Diane et Camille, et son amant, dans le château familial d'Avauges à Saint-Romain-de-Popey.

Si elle fait reconnaître la fillette par le couple Lespinasse, Julie-Claude d'Albon va quand même adopter et garder Julie avec elle et l'élever avec ses deux autres enfants, sans lui faire ressentir de différences.

La petite Julie reçoit une éducation religieuse, elle apprend à lire ainsi que les bonnes manières. Et préfère l'ambiance lyonnaise de la résidence familiale de la rue du Colonel Chambonnet en Presqu'île que celle du château du Pays de l'Arbresle.

A l'époque, Lyon et ses faubourgs comptent 150 000 habitants. La ville est particulièrement dynamique sur le plan commercial, c'est la première ville industrielle de France. Toute l'économie tourne autour de la soie, qui fait vivre près de la moitié de la population.

Julie vit avec sa mère jusqu'à la mort de cette dernière en 1746. Elle suit ensuite Gaspard, son vrai père, qui épouse sa demi-soeur Diane… Ensemble, ils quittent Avauges pour le château de Chamrond, près de Charlieu dans la Loire. Elle vivra avec eux jusqu'à ses 20 ans, s'occupant de leurs deux enfants.

N'ayant aucune dot à apporter, Julie de Lespinasse rencontre d'importants problèmes pour se marier. Considérée comme une bâtarde, elle n'a droit qu'à une pension de 300 livres. Il ne lui reste qu'une solution : entrer dans les ordres.

Sous l'aile de la reine de Paris

Une rencontre décisive va toutefois l'éloigner de son destin religieux. En 1752, elle fait la connaissance de la soeur de Gaspard, la marquise Marie de Deffand. Sa tante est une femme du monde, qui vit à Paris où elle mène une vie très libre. Elle a ouvert l'un des plus grands salons de l'époque, rue Saint-Dominique, où se retrouvent les ministres, les magistrats mais aussi les militaires, savants, artistes et gens de lettres comme Voltaire, Montesquieu, Marivaux ou Buffon.

La marquise admire l'esprit et le savoir de Julie, et lui propose de l'accompagner à Paris. Gaspard et Diane voient d'un très mauvais oeil ce départ, de peur que leur protégée révèle son origine et revendique sa part d'héritage aux dépends de leurs enfants. Marie de Deffand arrive à les convaincre, à la seule condition que Julie de Lespinasse passe deux ans dans un couvent lyonnais pour parfaire son éducation.

C'est donc au couvent des Dames de Saint-Pierre, place des Terreaux, où étaient envoyées les filles d'aristocrates lyonnais, que la jeune femme entre. Et à 22 ans, elle est récupérée comme convenu par la marquise de Deffand qui l'embarque à Paris.

Julie est alors époustouflée par l'aura de sa tante, qui est l'une des reines de la capitale. Veuve, elle a pris comme amant le président du Parlement de Paris.

Si elle n'est pas très belle, Julie est gracieuse, charmante, spontanée, dotée d'un esprit vif et fait preuve de grandes facultés d'adaptation. A son arrivée dans la capitale, elle arrive donc à se fondre dans le décor, contrairement à de nombreux provinciaux. Et c'est logiquement que de nombreux hommes fréquentant le salon de la marquise vont tomber sous son charme.

Le mathématicien Jean d'Alembert notamment sera l'un des plus épris de Julie. A tel point que Marie de Deffand va devenir jalouse et accuser la jeune Lyonnaise d'être une ensorceleuse.

Alors que leurs relations sont au plus mal, la marquise surprend Julie de Lespinasse avec John Taaf, un Irlandais qui fréquente le salon. Nous sommes en 1757 et c'est la rupture. Julie est tellement marquée par cette dispute qu'elle tente de s'empoisonner.

A la tête du salon des encyclopédistes

Ses amis parisiens arrivent à la convaincre qu'elle doit ouvrir son propre salon. Ils vont même lui prêter l'argent nécessaire et des meubles. Et c'est à 100 mètres du salon de la marquise que Julie de Lespinasse loue les 2e et 3e étages d'une petite maison où elle crée un décor particulièrement raffiné. Elle dispose alors de quatre domestiques et d'une pension du roi Louis XV qui lui a été obtenue par le ministre Choiseul.

Devenue une princesse de Paris, Julie de Lespinasse concurrence clairement la marquise de Deffand. C'est désormais chez elle qu'on arbitre les querelles littéraires et artistiques, qu'on décide des ministères, qu'on fait les académiciens… Les lieux sont ouverts tous les jours sauf le dimanche, de 17h à 22h. Et la Lyonnaise va durant 12 ans ne vivre que pour et par son salon.

A l'époque, la plupart des salons se ressemblent. C'est donc la personnalité de leurs tenanciers qui fait la différence. Et Julie séduit grâce à son intelligence, la noblesse de ses manières et son charme. Elle a l'art de mettre à l'aise. Julie de Lespinasse n'a pourtant pas de grands moyens et reçoit modestement. On dit d'ailleurs à l'époque qu'on vient chez elle pour digérer plutôt que pour dîner.

Son salon est fréquenté par des hommes de cour, des ambassadeurs, des aristocrates étrangers et surtout par des philosophes comme Condillac, Mably, Condorcet et le duo Diderot et d'Alembert qui s'était lancé dans la grande aventure de l'Encyclopédie. Julie de Lespinasse restera d'ailleurs dans l'histoire comme l'égérie des encyclopédistes.

Car la Lyonnaise avait beaucoup d'influence sur eux, d'Alembert en particulier. Ce surdoué, entré à l'Académie des sciences à 23 ans et à l'Académie française à 37 ans, est aussi un bâtard de haut rang. Ils deviennent donc inséparables, même si leur relation reste platonique.

Julie de Lespinasse jouera un véritable rôle politique dans la période précédant la Révolution, car elle reçoit régulièrement le futur ministre Turgot qui veut supprimer certains privilèges de la noblesse.

Si elle ne se marie pas, elle aura de nombreux amants. Le comte de Guibert, conseiller du ministre de la Guerre, sera la plus grande passion de sa vie, jusqu'à sa mort en 1776. C'est le 21 mai de cette année que la Lyonnaise rend son dernier souffle, malade de la tuberculose. Elle venait de commencer à écrire ses mémoires, la majorité de ses écrits retrouvés sont sa correspondance.

Julie de Lespinasse aura laissé l'image d'une mondaine et d'une intellectuelle qui a inspiré les philosophes de son époque. Mais aussi d'autres femmes qui, comme elle, ouvriront des salons. En particulier Louise de Vilmonin, Marie-Laure de Noailles et évidemment une autre Lyonnaise, Juliette Récamier au XIXe siècle.

Julie de Lespinasse mérite toutefois mieux que cette image mondaine parfois réductrice. Elle aura réellement joué un rôle intellectuel à une époque où les femmes étaient marginalisées, reléguées à des rôles mineurs dans la société.

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