Qui était Juliette Récamier, la muse lyonnaise des Romantiques ?

Qui était Juliette Récamier, la muse lyonnaise des Romantiques ?
Juliette Récamier - DR

Née à Lyon où elle a passé sa jeunesse, Juliette Récamier a été une des femmes les plus célèbres du XIXe siècle. Elle n'a rien écrit ou inventé, mais elle a joué un rôle social considérable. Spirituelle et belle, elle fut une des étoiles de la vie parisienne sous le Directoire puis la Restauration.

Les parents de Juliette Récamier étaient des bourgeois lyonnais, riches et influents. Le père, Jean Bernard, était notaire royal. Et la mère, Marie-Julie Matton, issue d'un milieu aisé. Comme souvent à l'époque, leur mariage était de convention. Grand brasseur d'affaires, Jean Bernard ne s'occupait guère de sa femme qui passait une grande partie de son temps à Paris où elle cultivait des moeurs assez libres.

Juliette Récamier est née le 4 décembre 1777 dans le quartier des Terreaux, rue de la Cage, aujourd'hui devenue rue Constantine. Initialement, elle se nomme Julie, prénom à la mode après la sortie du roman de Jean-Jacques Rousseau "La nouvelle Héloïse". Ce n'est qu'à 18 ans qu'elle le changera en Juliette, pour féminiser davantage son prénom.

Fille unique et très proche de sa mère, elle reste seule à Lyon à l'âge de 9 ans car son père est nommé receveur des finances par le ministre Charles-Alexandre de Calonne en 1786. Ses parents s'installent à Paris, elle devient pensionnaire au couvent de la Déserte où l'une de ses tantes est religieuse.

Situé à l'emplacement de l'actuel Jardin des Plantes, en face du couvent des Carmélite, l'établissement dirigé par des bénédictines accueille une quarantaine de filles de la bonne bourgeoisie lyonnaise. Juliette y apprend le chant, le piano, la harpe. Elle est déjà belle, distinguée et très douée.

L'ascension parisienne

Elle reste à la Déserte durant trois ans. Puis à la Révolution de 1789, elle rejoint ses parents à Paris. A la capitale, les Bernard mènent une vie très mondaine, habitant un bel hôtel particulier rue des Saints Pères où ils reçoivent beaucoup, notamment des Lyonnais de passage. Parmi eux, Jacques-Rose Récamier, un ami de la famille qui deviendra le mari de Juliette.

Il se trouve que Jacques-Rose Récamier est aussi l'amant de la mère de Juliette. Riche banquier qui avait spéculé sur la vente des biens de l'Eglise confisqués sous la Révolution, le Lyonnais est le cousin du fameux Jean Anthelme Brillat-Savarin, juriste et gastronome.

Jusqu'en 1992, tout se passe bien pour les Bernard. Insouciante et heureuse, Juliette passe ses journées à lire, chanter, danser ou jouer du piano. Puis les choses se gâtent, car la Terreur s'installe à Paris.

Les massacres de septembre puis l'exécution de Louis XVI en janvier 1793 poussent les aristocrates et les riches bourgeois à ressentir fortement la menace de la guillotine.

Les Bernard ne fuient pas Paris mais se font plus discrets. C'est à cette époque que Juliette, qui vient d'avoir 15 ans, épouse Jacques-Rose Récamier le 24 avril 1793. Il a 42 ans…

Il s'agissait d'un mariage blanc, courant à l'époque pour léguer sa fortune à ceux qu'on aime. Juliette apprendra bien plus tard, sans doute par sa mère, que Jacques-Rose Récamier était en réalité son véritable père !

Si personne n'avait jamais osé lui dire auparavant, Juliette avait probablement eu des doutes puisque son mari lui imposera des relations strictement platoniques.

Les Récamier vivent à Paris mais à partir d'octobre 1795, c'est le Directoire. Les affaires reprennent, les spéculations également. Et le banquier en profite. Il organise de somptueuses réceptions dans son hôtel particulier de la rue du Mont-Blanc et dans son château de Clichy.

La France se libère après la Terreur. La mode est alors très provocante, les femmes dévoilent leur gorge, abandonnent jupons et chemises pour des tuniques transparentes. Elles marchent pieds nus, simplement chaussés de cothurne. Finie l'austérité jacobine, place au grand retour à l'Antique !

Juliette Récamier suit évidemment le mouvement et devient une femme en vue avec les salonnières Thérésa Tallien et Joséphine de Beauharnais, qui épousera ensuite Napoléon Bonaparte. Ces femmes avaient à leurs pieds les personnages masculins les plus illustres de l'époque.

La jeune Lyonnaise est proclamée en avril 1797 par la presse parisienne femme la plus belle et la plus élégante de Paris. Une réputation méritée, tant elle parvenait à être charmeuse et sensuelle sans jamais être provocante. Mais Juliette Récamier n'était pas qu'un visage et une silhouette, elle était très spirituelle, gaie, expansive, malicieuse et sensible. Les gens l'appréciaient pour sa capacité à écouter et à prendre les choses avec tact.

Intelligente et cultivée, elle n'était pas une intellectuelle. Discrète et très réaliste, elle était au fond restée très lyonnaise en ne se mettant jamais inutilement en avant.

Malgré son statut de femme mariée, elle a beaucoup d'admirateurs. Même Napoléon se retrouve séduit, comme il l'avouera dans le "Mémorial de Sainte-Hélène". Son frère Lucien Bonaparte, ministre de l'Intérieur, lui faisait une cour assidue. Et Juliette Récamier avait beaucoup de mal à le repousser.

Elle ne cédera toutefois à aucune avance. Son succès l'amusait, elle disait d'ailleurs : "Le jour où les petits ramoneurs ne siffleront plus sur mon passage, ça prouvera que je suis vieille".

Son mari, dont elle ignore encore la filiation, compte sur elle pour remplir son rôle de maîtresse de maison qui organise de belles réceptions. Tout le gratin parisien se presse chez les Récamier : diplomates, écrivains, hommes politiques, militaires… Ce qui fait prospérer les affaires du banquier.

Et Juliette Récamier devient la femme qu'on écoute, que l'on consulte à la capitale. Elle acquiert une réelle influence dans les milieux politiques, sans être une intrigante. Au contraire, elle préfère réconcilier les gens, apaiser les haines encore tenaces au lendemain de la Révolution.

Elle s'intéresse aussi à la vie culturelle et échange beaucoup avec les écrivains et artistes. Les plus grands peintres font son portrait, notamment François Gérard et Jacques-Louis David en 1801. Le sculpteur Joseph Chinard réalisera également son buste, exposé au musée des Beaux-Arts de Lyon.

Juliette Récamier était une lanceuse de mode. Le châle a été popularisé par la Lyonnaise, qui inventa une danse où la femme lance son châle pour dévoiler ses épaules nues. Ses choix de décoration et de mobilier sont très suivis à Paris. Le fameux canapé baptisé méridienne Récamier, c'est elle. Tout comme la petite table à l'Antique à trois pieds, la psyché, le grand miroir mobile… C'est une véritable référence en matière de bon goût, y compris au-delà des frontières françaises.

Car Juliette Récamier voyage en Europe. En 1802, elle se rend en Angleterre où est elle reçue comme une reine.

La chute et le suicide avorté

Son ascension prendra toutefois du plomb dans l'aile car en janvier 1806, son mari fait faillite. Jacques-Rose Récamier est ruiné et doit se séparer de son château et de son bel hôtel particulier. Juliette est obligée de vendre ses meubles et le couple s'installe dans un modeste appartement.

Et un an plus tard, la mère de Juliette Récamier décède. Ce qui la pousse à quitter Paris pour se réfugier en Suisse. A Coppet, près de Lausanne, elle loge chez son amie Germaine de Staël, fille du banquier Necker, ministre de Louis XVI. Mme de Staël exerçait une influence intellectuelle considérable en Europe, car elle recevait dans son magnifique château les grands de ce monde. Et notamment tous les opposants à l'empereur comme Johann Wolfgang von Goethe, Friedrich Schlegel, le prince de Prusse… Coalitions et complots se nouaient à Coppet.

En Suisse, Juliette Récamier retrouve goût à la vie grâce à cet environnement dans lequel elle évolue avec brio. Et pour la première fois, elle tombera même amoureuse.

L'heureux élu, c'est le prince Auguste de Prusse. Egalement épris de la Lyonnaise, il la demande en mariage. Juliette Récamier hésite pour finalement refuser. Et le prince restera inconsolable.

En 1809, elle tente de se suicider en avalant des pilules d'opium. "Résolue à quitter la vie, je veux vous dire que je conserverai jusqu'au dernier battement de mon coeur le souvenir de vos bontés et le regret de n'avoir pas été pour vous tout ce que je devais", écrivait-elle dans une lettre d'adieu à Auguste de Prusse.

Jean Anthelme Brillat-Savarin, qui logeait au château à ce moment-là, était finalement intervenue à temps, pour l'empêcher d'accomplir son funeste projet.

Pour se distraire, Juliette Récamier voyage, surtout en Italie. Et en 1812, elle revient à Lyon 20 ans après l'avoir quittée. Installée à l'hôtel de l'Europe place Bellecour, elle retrouve ses amis : le mathématicien Camille Jordan, Joseph Marie de Gerando, Jean-Baptiste Dugas Montbel et surtout le philosophe Pierre-Simon Ballanche dont elle est très proche.

Elle ne pourra retourner à Paris qu'en 1817, après la chute de Napoléon, car la police impériale la surveillait de près. Interdite de séjour dans la capitale, elle était accusée de fréquenter des opposants au régime napoléonien comme Mme de Staël.

Un couple légendaire

A 40 ans, Juliette Récamier fait son grand retour à Paris et rencontre la grande passion de sa vie : François-René de Chateaubriand. Père du Romantisme, il est l'un des hommes les plus illustres de son temps. Et à 50 ans, il est à l'apogée de sa gloire littéraire. Suite à la chute de Napoléon, il devient un homme politique influent : ambassadeur, ministre des Affaires étrangères… C'est le parti rêvé et toutes les femmes sont à ses pieds. Juliette Récamier succombera à son charme, et ils formeront un couple légendaire, qui ne vivra toutefois pas ensemble. En 1819, la Lyonnaise loue un appartement dans une abbaye de la rive gauche de la Seine et Chateaubriand passe chaque jour une heure avec elle.

Jalouse de ses succès féminins, elle redevient la reine de Paris et le restera pendant plus de 20 ans. Les intrigues politiques se nouent chez elle. C'est par exemple auprès de Juliette Récamier que les journalistes Adolphe Thiers et Etienne-Jean Delecluze préparent la révolution de juillet 1830 qui renverse Charles X. C'est aussi chez elle que se décident les élections à l'Académie française.

Et toute la jeunesse romantique vient chercher la consécration dans son salon : Prosper Mérimée, Charles-Augustin Sainte-Beuve, Stendhal, Alphonse de Lamartine, Honoré de Balzac. Sans oublier son compagnon, puisque Chateaubriand lit chez elle pour la première fois une partie de ses "Mémoires d'outre-tombe".

La santé de Juliette Récamier se dégrade et elle devient presque aveugle. Quant à Chateaubriand, souffrant de rhumatismes, il a beaucoup de mal à monter l'escalier qui mène à son appartement. Victor Hugo écrira à leur propos : "C'était un spectacle triste et touchant. La femme qui ne voyait plus cherchait l'homme qui ne sentait plus. Et leurs mains se rencontraient".

A la mort de sa femme en 1847, Chateaubriand demande Juliette Récamier en mariage. Le couple renonce face aux formalités et démarches à accomplir.

La même année, le philosophe Pierre-Simon Ballanche meurt dans les bras de son amie fidèle. Juliette Récamier perdra ensuite Chateaubriand en 1848. Et en 1849, elle est emportée par le choléra.

"Sans jamais avoir écrit un seul livre, cette femme a exercé une grande influence sur son temps", reconnaissait Goethe à son sujet.

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