Invitée d'honneur du festival, présente pour la remise du prix Lumière au réalisateur américain Tim Burton, l'actrice italienne Monica Bellucci est venue également présenter, en avant-première, le documentaire The Girl in the Fountain d'Antogiulio Panizzi. Nous avons pu, à cette occasion, la rencontrer. Entretien.
Dans ce film documentaire, Monica Bellucci se voit proposer d'interpréter le rôle de la mythique Anita Ekberg, éternelle Sylvia de La Dolce Vita de Federico Fellini. Si ce film culte, et sa scène de la fontaine de Trévi à Rome, est entré dans le panthéon du cinéma, il marque aussi dans l'histoire du septième art, la représentation de la femme fatale. Plus de 50 ans plus tard, dans The Girl in the Fountain, Monica Belluci, star internationale, tente de s'approprier le personnage d'Anita Ekberget et de lui donner son interprétation d'actrice et de femme contemporaine. À quelques heures de la projection publique, elle s'est confiée à Lyon Femmes.
Au début du documentaire, vous semblez étonnée, mais aussi émue, que le réalisateur Antogiulio Panizzi vous propose d'interpréter le rôle d'Anita Ekberg. Qu'avez-vous réellement ressenti à ce moment là ?
On a utilisé dans le film ce qui s'est passé réellement dans la vie. Quand on m'a proposé le rôle, je me suis demandée : "Qu'est-ce que je fais là ?". Incarner cette femme si nordique et moi si méditerranéenne. Et après, j'ai cherché à comprendre les similitudes que je pouvais avoir avec elle. Je pense que cette femme avait un physique qui arrivait avant elle et moi, je venais du monde de la mode quand j'ai approché le monde du cinéma. Je sais les a priori que j'ai du vivre au début. Avoir un certain physique, ça crée de la curiosité bien sûr, mais en même temps beaucoup de portes se fermaient à cause de cela. Du coup, j'ai du faire un certain parcours pour avoir accès aux films que j'ai fait ensuite.
Que représente pour vous Anita Ekberg ?
En ce qui me concerne, quand j'ai débuté le cinéma, j'avais beaucoup d'envie et de passion. Anita Ekberg, elle, parle beaucoup de son courage. Elle était partie de Suède pour Los Angeles alors qu'elle ne parlait pas encore anglais, puis elle est arrivée à Rome... Ce film n'est pas juste un film documentaire, c'est un document sur une époque. Une époque où d'un coup cette femme arrive en Italie lors d'une période très créative, avec beaucoup de productions de cinéma, et où elle est arrivée comme une tornade et a cassé des codes. Une femme si belle, si indépendante en comparaison avec les femmes de l'époque qui ne sortaient pas de la cuisine et vivaient une vie vraiment domestique. Elle attirait beaucoup de curiosité, mais aussi un côté vade retros satanas, car elle représentait les pêchés.
Dans le film, vous dites justement d'elle qu'elle est une femme libre et indépendante, mais aussi qu'elle a vécu dans une sorte de prison, enfermée par la suite dans son personnage de Sylvia dans la Dolce Vita. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
C'était une femme sûrement douée, avec beaucoup de talent, mais c'est comme si cette beauté était un masque qui cachait tout ça. Ce masque l'a emprisonnée jusqu'à la fin car elle n'a pas eu la possibilité d'évoluer. Mais, je pense que cette femme est pour nous un exemple. Nous les femmes d'aujourd'hui, on a appris beaucoup de son courage, de sa liberté. Le fait de partir de son pays, voyager, apprendre les langues, travailler avec des metteurs en scène différents... Mais je ne pense pas que c'est le cinéma qui l'a tuée, c'est la vie... Sa beauté, c'est comme une ferrari qu'on n'a pas su toujours conduire. Et la vie lui est passée dessus. Malgré cela, pour plein d'aspects, c'est une femme qui nous a appris à lutter. D'ailleurs, dans la scène finale du film où je prends l'arche, comme elle le faisait, c'est une métaphore. À travers elle, on a appris à se défendre. Et un grand metteur en scène comme Fellini, l'a filmée jusqu'à la fin. Alors qu'à cette époque, après un certain âge, les actrices ne travaillaient plus. Même si elles étaient douées, leur carrière était liée à un âge biologique. À mon âge, on ne travaillait plus depuis déjà très longtemps.
© Dugong Films - Eagle Pictures
Ce qui est intéressant aussi dans ce documentaire, c'est le parallèle entre la vie de deux actrices et leur vie de femmes. Anita Ekgerb était devenue malade en sombrant dans l'alcool, alors que l'on vous voit répéter pendant que vous faites la cuisine, avoir une vie plus sereine et saine.
Je crois qu'à l'époque, c'est aussi un autre problème, le cinéma était la seule manière de faire de l'image. On n'avait pas la même d'approche à l'image. Et on regardait ces actrices comme des femmes qui n'étaient pas dans la vie. Alors qu'aujourd'hui, les comédiennes, tu les vois faire les courses, avec les enfants... On te disait aussi qu'il ne fallait pas avoir d'enfants car on enlevait cette image de femme désirable, qui devient une mère dans les yeux du monde... Il y avait des codes précis. Aujourd'hui, cela n'existe plus, tu peux être une femme et une mère.
Comment faire pour trouver cet équilibre l'actrice, le personnage et sa vie ?
Dans la vraie vie, je cherche à me protéger et à avoir mon jardin secret. Dans les films, tu fais la comédienne, tu crées l'illusion, on est des femmes de spectacle. On crée des choses qui n'existent pas.
De nos jours, le concept de la diva, de la femme fatale existe-t-il toujours ? Et si oui, qu'est ce qu'une femme fatale aujourd'hui ?
Une femme fatale est une femme qui crée une image adorée par tout le monde. C'est aussi une grande responsabilité. Être une icône, c'est quelque chose de très lourd à porter. Une icône, c'est une image figée dans le temps. En ce qui me concerne, je veux être une comédienne qui bouge dans le temps. Je ne sais pas si la femme fatale existe toujours, pas en tout cas comme elle l'était. Anita Ekberg représente quelque chose qui a été, dont le cinéma a été crée, mais aujourd'hui, cela n'existe plus. On ne perçoit plus ni les actrices ni le cinéma comme cela. Mais on vient de là, du coup ça fait école.
Propos recueillis par D. S.